Je venais d’avoir 18 ans.
Ce lundi 22 Mai 1944, vers 21h30, les membres de la Gestapo allemande viennent nous arrêter à notre domicile rue des Antonins à Villeurbanne, renseignés par un agent infiltré dans notre réseau.
Une résistance familiale
A Villeurbanne, mon père venait de terminer l’installation d’une petite usine de salaisons, mais il ne voulait pas l’exploiter officiellement car il craignait une réquisition de la part des occupants. Ancien prisonnier de la guerre de 14-18, il ne pouvait admettre la présence allemande en France. Il participa donc très activement à la distribution de la presse clandestine "Combat".
Mon frère Gilbert ne put également rester inactif et dès son retour de Syrie où il était parti comme volontaire en 1942, il se mit en contact avec le 4ème secteur du Rhône F.F.I. du district de Trévoux).
Les fonctions de ce secteur était très vastes et toute la famille a pu intervenir et coopérer efficacement :
-Ravitaillement des maquis de l’Ain en produits alimentaires. Nous participions tous à la fabrication clandestine dans l’usine de mon père, puis cette marchandise était distribuée et remise à plusieurs intermédiaires responsables.
Mon frère contactait par radio les messages désignant les lieux de parachutage de détonateurs et d’armes. Ces détonateurs étaient destinés à la destruction des transformateurs d’usines travaillant pour les Allemands.
Quelquefois, dans l’usine, des armes restaient en attente d’être distribuées . Le soir de notre arrestation, les Allemands ont ainsi découvert un important stock.
L’arrestation
Le 22 mai 1944, ma mère, mon père, mon frère, notre employée de maison et moi-même, nous partons pour l’Ecole de Santé, avenue Bertholot. Là, on nous sépare : les trois femmes passent la nuit dans une cave avec d’autres filles déjà arrêtées. Mon père est enfermé debout dans une cage en bois, au fond du couloir. Mon frère part immédiatement à l’interrogatoire et à la torture.
Le lendemain matin, les femmes sont conduites à la prison du fort Montluc où elles sont séparées. Dans la cour de la prison, lors du grand départ du 1er juillet 1944, nous devions apercevoir une dernière fois mon père et mon frère. Ils furent emmenés à Neuengamme où mon père décéda le 18 janvier 1945. Mon frère, lui, fut libéré par les troupes américaines fin avril 1945.
C’est au réfectoire que je vis pour la première fois Mère Elisabeth, dont la personnalité et le rayonnement remontaient les plus déprimées. Elle accueillait les nouvelles pensionnaires avec son sourire calme qui nous réconfortait après le choc de l’arrestation et de la prison. Toutes rassemblées autour de "notre Mère" comme nous l’appelions, telle une couvée de poussins sous les ailes protectrices de la maman poule, nous ressentions auprès de cette femme admirable une sécurité, un soutien moral, une lueur d’espoir surnaturelle et pensions que plus rien ne pouvait nous arriver.
La déportation
Ma mère et moi n’avons jamais été séparées. Seule, notre Melle Falcoz a été dirigée vers les mines de sel de Bendorf, mais nous l’avons heureusement retrouvée à la libération.
Quant à nous deux, nous avons été dirigées sur Romainville, puis à Sarrebrück où le camp de transit était aussi une école pour jeunes S.S.
A partir de là, nous avons compris où nous allions, entassées comme des bêtes dans des wagons à bestiaux, sans eau, sans nourriture.
Après quatre jours de voyage, nous sommes arrivées à Ravensbrück pour connaître un calvaire encore plus cruel : la dégradation physique et morale, la hantise des appels à toute heure du jour et de la nuit, les départs précipités, les travaux épuisants...
L’hiver a été long. Chaque jour, nous perdions des camarades. Beaucoup mouraient, d’autres partaient en usine ou rentraient à l’infirmerie ... pour ne plus ressortir...
Début 1945, devant l’avance russe, les prisonnières des camps évacués sont venues nous rejoindre. C’était épouvantable. Alors, ont commencé les sélections pour la chambre à gaz. Ma mère et moi avons vécu en trois fois cet instant de terreur. Comment avons-nous survécu de ce séjour au camp de représailles de Recklin ? Sur 780 camarades, nous en avons perdu 500.
La libération
Nous avons échappé à l’enfer le 1er mai 1945 grâce à la Croix-Rouge internationale qui nous a dirigées vers le Danemark et la Suède. Ma mère est restée jusqu’en juillet dans une maison de repos suèdoise. J’ai été moi-même hospitalisée en Suède pour une pleurésie et le typhus, puis j’ai été rapatriée le 23 juin 1945.
Souvenirs confiés par Mme Rivière à Albane C. et Amandine B. pour le Concours 1997