L’insurrection de Varsovie
Déportée politique à 13 ans...
Je suis née à Varsovie en Pologne le 18 avril 1931 de Józef Kretowicz et Stanislawa née Bartosiak. En 1939, j’étais écolière et j’habitais avec mes parents et mon frère à Varsovie au 24/26 de la rue Marymoncka.
En août 1944, les Allemands lancent une vague d’arrestations à la suite de l’Insurrection de Varsovie menée par l’Armia Krajowa (Armée du Pays). Ma famille s’est réfugiée à Lomianki. C’est là que nous avons été arrêtés dans le cadre de "l’action spéciale" déclenchée par un dignitaire nazi.
L’internement au Stutthof
Le 27 Août 1944, nous avons été amenés par camion dans un camp allemand de transit, le Dulag 121 à Pruszków, où nous sommes restés jusqu’au 30 août 1944. Ce jour-là, les Allemands nous ont embarqués dans les wagons à bétail et envoyés vers le camp du Stutthof, situé à l’époque sur le territoire de la Ville Libre de Dantzig, annexée par l’Allemagne en 1939.
18.057.600 secondes au Stutthof
En arrivant au camp, le 31 août 1944, mon père et mon frère ont été séparés de nous. Ma mère et moi, nous avons été d’abord conduites dans une baraque de transition, au N° 13, où nous sommes restées environ deux semaines. Au bout de cette période, nous avons été dépossédées de tous nos biens personnels, déshabillées et conduites à la douche. On nous a alors donné des vêtements de prisonniers, gris avec un gros point de peinture rouge sur le dos et des numéros personnels. J’ai reçu le N° 87398 avec la lettre "P" sur le triangle rouge ce qui signifie "prisonnière politique" . Je n’avais pourtant que 13 ans.
Camp du Stutthof
Maltraitées, battues , nous avons été transférées dans plusieurs baraques successives. J’ai été gardée quelque temps dans la baraque "sanitaire", nommée le "revir". J’avais attrapé la dysenterie, mais surtout reçu d’une surveillante allemande un coup de matraque sur la tête. J’ai ensuite été affectée à la " Lager Arbeitscommando". Je travaillais dans le camp même, mais parfois aussi chez les fermiers (Bauer) dans les environs.
La Marche de la mort
Le 25 janvier 1945, les Allemands ont décidé d’évacuer le camp devant l’offensive de l’armée soviétique. Ils ont formé une colonne de 1200 personnes parmi lesquelles je me suis trouvée avec ma mère. Alors a commencé, une marche de deux jours - que les historiens ont ensuite appelée "marche de la mort" - vers Pruszcz (Praust). Nous sommes restées deux mois dans cet Arbeitscommando , camp satellite du Stutthof. Là, j’ai été malade du typhus et je suis restée sans autres soins que ceux prodigués par ma mère. Malgré mon état, j’ai été forcée de travailler sur l’aérodrome militaire où nous étions exploitées pour les travaux de terrassement.
Vers le 25 mars 1945, nous avons été libérées par l’armée soviétique et sommes parties à pied vers Varsovie où nous sommes arrivées le 1 avril 1945.
Le retour à la vie.
En 1946, durant 4 mois, j’ai été soignée au sanatorium à Karolin, car j’avais une "psychonévrose grave" consécutive à mon séjour au camp de Stutthof. A partir de 1946 et pendant 10 ans j’ai été soignée pour une maladie consécutive à mon internement au camp de Stutthof, "enexitis chronique bilatérale". Même maintenant, ayant 70 ans, j’ai une angine de poitrine et suis considérée inapte au travail.
Christine a survécu. En 1952, elle a épousé Jean Stimm, lui même déporté pendant la guerre, mais dans un goulag de Sibérie. N’oublions en effet qu’en 1939, Staline avait signé un pacte avec Hitler, et que l’U.R.S.S a ainsi envahi l’Est de la Pologne. Deux enfants sont nés, Maria et Catherine. Mais la vie à Varsovie pèse et le couple veut fuir ce pays et ce régime.
La fuite vers la France
En 1965, la famille a reçu des autorités polonaises des visas touristiques de sortie pour la France, délivrés exceptionnellement pour des raisons familiales. Pourtant, avant ce supposé voyage d’agrément, le couple vend ce qu’il peut vendre de ses maigres biens. En Juillet 1965, ils quittent la Pologne à bord d’une voiture particulière ; les 500 $ réunis sont bien cachés dans le moteur de la voiture.
Nous sommes ainsi arrivés à Lyon où nous nous sommes présentés à la police en demandant la permission de rester en France. Nous avons reçu immédiatement la permission de séjour et de travail. Peu de temps après, l’Office pour la Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA) nous a accordé le droit d’asile. En 1974 nous avons acquis la nationalité française et à notre demande, les autorités polonaises nous ont délivré l’accord consistant à décliner notre citoyenneté polonaise.
Une déportée non dédommagée
Je n’ai jamais obtenu de dédommagement pour le préjudice subi par l’emprisonnement au camp allemand d’extermination de Stutthof. J’ai fait cette demande de Lyon, malgré mes difficultés linguistiques à l’époque pour constituer le dossier nécessaire.
La pension m’a été refusée au regard des diverses lois allemandes. Notamment, il m’a été reproché qu’après la guerre et pendant 10 ans j’ai "habité mon pays natal la Pologne", "que je n’étais pas persécutée à cette époque" et "que mon départ de Pologne était trop tardif et ne pouvait être pris en compte pour me considérer comme réfugiée". La Pologne m’a refusé le droit à pension versé aux rescapés des camps allemands (dit combattants), car je n’étais plus "citoyenne polonaise". La France me le refuse aussi, car au moment des faits j’étais "citoyenne polonaise et non française". Le Haut Commissariat pour les Réfugiés des Nations Unies à Genève, la Cour Internationale de Justice se sont déclarées incompétentes dans mon affaire.
Ainsi, je suis peut-être la seule française (bien que d’origine polonaise) qui n’a pas reçu de dédommagement de l’Allemagne. Mon séjour de 18.057.600 secondes dans le camp allemand d’extermination du Stutthof ne mérite donc pas le moindre pfennig ?