FR3. 17 juillet 2002
C’est un remarquable documentaire qui est le prolongement d’une exposition, " Mémoires des camps" , organisée l’an dernier à Paris par la Mission du patrimoine photographique.
Henri Haut, dont le père, le frère et la soeur sont morts à Auschwitz ; Georges Angéli, auteur de onze photographies prises clandestinement à Buchenwald où il était déporté ; Jorge Semprun, déporté à Buchenwald ; François Bertrand, déporté à Buchenwald puis à Dachau ; Léon Navarro, déporté à Dora ; Germaine Tillon, déportée à Ravensbrück ; Serge Choumoff, déporté à Mathausen. Chacun nuance et limite son témoignage à son expérience, dans « son » camp, dans la période qu’il a vécue. Jorge Semprum et François Bertrand insistent bien pour dire qu’il y a eu plusieurs périodes, plusieurs réalités des camps et que les camps de la fin, surpeuplés, ne sont pas ceux des mois précédents.
A travers le reportage, la plupart des aspects de la concentration et de l’extermination - mêlées pour une fois, mais on regrettera l’absence d’un témoin d’Auschwitz - sont abordés : la rafle, l’arrivée, la faim, la soif, les coups, le cynisme des SS et kapos, les expériences, le travail, l’organisation des camps, le gazage à Auschwitz, la solidarité et les rivalités entre « nations », la résistance solitaire et organisée, l’évacuation, la libération.
Il s’agissait de « rentrer dans les photos » , de les expliquer, de les remettre dans leur contexte, pas vraiment de les montrer. Aucun voyeurisme possible : des photos sobres, toujours entourées d’un témoignage plus important que la photo qui elle s’efface rapidement : un prétexte plus qu’une volonté de fixer la mémoire des camps par l’image.
Un pari réussi : contrairement à la plupart des documentaires sur les camps , la barbarie ne passe pas par l’image. La vie quotidienne est dite avec ces paroles retenues que seules le témoin peut donner.
Onze photos clandestines incroyables prises par un témoin G Angeli à Buchenwald, dont un intéressant commentaire autour d’une photographie organisée par les SS à Dora avec un des témoins qui situait la scène et la mise en scène.
Deux soldats témoignent aussi de la découverte des camps à Dachau * et à Bergen-Belsen : Jacques Francis Rolland, correspondant de guerre dans l’armée américaine et Harry Oakes, photographe de guerre de l’armée britannique.
Quelques mots à la fin de J Semprum à propos de Cl Lanzmann : l’opposition a été dure, il y a 2 ans ! On peut montrer des photos, décrire, monter des archives, chercher l’histoire, accumuler les connaissances : « Comment voulez-vous qu’on explique l’odeur du four crématoire ? »
Les larmes pointent dans les yeux des témoins : la parole ne libère pas , jamais .
Travail de Mémoire, travail de deuil non achevé , passage de relais impossible..
Longuement sur l’écran final , un communiqué de G Angeli :
« Les documents que j’ai ramenés en 1945 de Buchenwald avaient pour but de témoigner pour extirper les causes des guerres et obtenir un MONDE MEILLEUR DANS LA PAIX. En 2001 , ma déception est immense »
* au sujet des SS fusillés par les soldats américains à Dachau souvent évoqués sur les forums :
la lecture de la lettre d’un soldat américain à sa mère, le lendemain de la libération de Dachau : « Si ce que j’ai vu hier je l’avais vu au début de la campagne, je n’aurais pas fait de prisonniers ». Alors , arrêtons de nous placer en juges des hommes plus de 60 ans après : nous pouvons bien lire des livres, accumuler des connaissances ... que savons-nous de l’odeur d’un four crématoire ?