Un parachutage à Duerne
Le dimanche 9 juillet 1944, à midi, à Saint-Symphorien-sur-Coise, les hommes du secteur V de la Résistance du Rhône [1] sont à l’écoute de la BBC. « Ici Londres, les Français parlent aux Français » ... Dans les messages personnels du jour, ils reconnaissent , le cour serré, celui qui annonce le parachutage de la nuit sur le terrain de Duerne (Rhône) : « Xénophon a une perruque » . Mais un deuxième message suit qui laisse entendre que cette opération-là sera différente : « Cinq amis visiteront ce soir la perruque de Xénophon » .

Parachuté une 3eme fois sur "Saphir", nom de code du terrain de Duerne, Mary-Basset a désiré reposer à St-Symphorien-sur-Coise, tout près.
Effectivement...
Cette nuit du 9 au 10 juillet 1944, cinq hommes sont parachutés sur « Saphir » [2]
« ... Et lorsque le grand Halifax eut largué sa cargaison de 18 containers et adressé un ultime salut par un bref et sympathique battement d’ailes, apparurent, se balançant dans le ciel, cinq parachutistes, mystérieux envoyés de Londres... pour la première fois nous entendons le nom de celui qui en était le chef : le Commandant MARY ... " (Joseph Besson)
Raymond Basset , Compagnon de la Libération
Raymond Mary-Basset © JP Basset
Raymond Basset, alias le commandant Mary, n’est pas un homme ordinaire. En ce mois de juillet 1944, il a déjà multiplié les exploits et reçu avec la Croix de la Libération [3] la distinction suprême réservée aux résistants les plus prestigieux.
Car Raymond Basset a très tôt multiplié les actions d’opposition à l’occupant et connu tous les stades de la montée en puissance de la Résistance . Dès 1940, dans la région de Chalon-sur-Saône, il a rejoint l’un des premiers réseaux de Résistance [4]. De nombreux prisonniers évadés, agents de la France Libre, pilotes alliés ont franchi grâce à lui la ligne de démarcation. Arrêté par la Gestapo en 1942, il a réussi à s’évader et à gagner Londres par l’Espagne, non sans connaître longuement les geôles de Miranda de Ebro [5]. .
L’homme qui est arrivé en Grande-Bretagne en juin 1943 pour rejoindre les Forces Françaises Libres est déjà un résistant aguerri : il devient agent du B.C.R.A. [6] et on lui confie des missions de premier ordre en territoire occupé. Au sein de la mission Armada, à l’été 1943, il dirige le sabotage des installations industrielles du Creusot et réussit, là où les bombardements s’étaient révélés peu efficaces pour faire cesser la production au service de l’ennemi. Le retour à Londres est de brève durée, puisqu’à l’automne de la même année, le revoilà en Saône-et-Loire où il organise à nouveau de multiples sabotages avant de regagner Londres par l’Espagne, une fois encore.
Engagement dans les Forces Françaises Libres
De Gingembre au commandement FFI
En juillet 1944, c’est une nouvelle mission capitale qui lui est donc confiée à la tête de la mission Gingembre : entraver le repli des troupes allemandes en coordonnant l’action des diverses équipes. C’est la troisième fois qu’il est ainsi parachuté sur la France occupée. L’équipe, composée de Daniel Boutoule, Marcel Réveilloux, Dominique Zanini, Michel Castets, se met immédiatement à l’ouvrage.
A Saint-Symphorien-sur-Coise, l’émotion est à son comble. Le commandant Mary n’apporte pas seulement des armes, il est aussi porteur de nouvelles qui réchauffent :
« Les petits gars, la guerre est bientôt finie. Je viens de survoler le sud de l’Angleterre. Des tanks, des camions en nombre considérable sont prêts à débarquer. »
Alban Vistel, commandant des Forces Françaises de l’Intérieur (FFI) de la Région R1 a besoin d’hommes sur qui compter. Le 18 juillet, le commandant Mary-Basset, devient le délégué militaire du Rhône et de la Loire [7] .
Les régions de Résistance
Les actions de l’été 1944
Dès le 23 juillet, Mary-Basset conduit une équipe d’une dizaine hommes en gare de Vaugry au Sud du département du Rhône. Résultat de l’opération incroyable : en sept minutes, un train de la Luftwaffe de 46 wagons-citernes est livré au feu, la voie est fondue sur 500 mètres, sans aucune perte du côté des F.F.I. Ce sont les réserves stratégiques en carburant de l’Armée allemande du Sud de la France qui disparaissent en fumée. Vaugry reste une action unique tant par l’importance de ce sabotage que par l’implication directe d’un chef de la résistance. Le Commandant Mary-Basset vient de donner l’exemple.
Il n’en restera pas là comme en témoigne cette lettre qu’il envoie au B.C.R.A. le 4 août 1944. En dressant un bilan des actions de l’été 1944 dans le Rhône :
« (...) Maintenant, je contrôle à peu près huit mille hommes qui me sont entièrement dévoués et je porte une responsabilité écrasante. Aussi, je m’étonne de votre position 28 jours après mon arrivée.
J’ai déclenché partout la guérilla et dirigé avec mes hommes des opérations importantes, entre autres :
.le barrage de la Mulatière à Lyon
.un train d’essence à Vaugry
.les cinq trains sous le tunnel de Tarare
.un train de blindés sous le tunnel de Biesse
.un train de chenillettes à Bourgoin
.un train de blindés à Givors
.plus de dix attaques contre des convois ennemis
nous avons tué plus de 500 Allemands, 36 miliciens et 27 agents de la Gestapo. »
Il réclame les armes nécessaires dans ces semaines qui précèdent les combats de la Libération :
« (...) Mes équipes ont fait une quantité d’autres actions dont vous trouverez un compte-rendu dans mon courrier. Pour chaque expédition, je dois compter les munitions à mes hommes. En ce moment, je ne reçois pas le moindre parachutage et pourtant il fait un temps splendide en France... (...) QUE DEVONS-NOUS FAIRE DE PLUS POUR MÉRITER UN PARACHUTAGE ??? [8] »
Le 3 septembre 1944, alors que les troupes de la 1e D.F.L. sont à l’approche de Lyon, à la tête des parachutistes et maquisards qui l’entourent depuis son arrivée dans le Rhône, il pénètre dans Lyon et occupe l’Hôtel de ville à 8h30 . Quelques dizaines de minutes plus tard, il aura l’honneur d’accueillir la 1ere DFL dont l’histoire retient qu’elle a libéré Lyon.
De nombreuses décorations ont reconnu les mérites du colonel Mary-Basset :
. Grand Officier de la Légion d’Honneur
. Compagnon de la Libération
. Grand Officier de l’Ordre National du Mérite
. Croix de Guerre 39-45 (10 citations)
. Médaille de la Résistance avec rosette
. Médaille des Evadés
. Médaille Commémorative des Services Volontaires dans la France Libre
. Distinguished Service Order (GB)
. Military Cross (GB)
. Croix de Guerre Belge
. Médaille de la Résistance avec rosette (Belgique)
Mais comme tous les grands résistants, la distinction qui était la plus chère à son cour était la croix de Compagnon de la Libération, décernée le 16 juin 1944. C’est elle qui était posée sur son cercueil, ce 11 septembre 1984, quand sa famille et ses amis l’ont entouré une dernière fois au cimetière de St-Symphorien-sur-Coise où il repose désormais.
Chaque année, en juillet, ses fidèles compagnons du dernier combat commémorent la date du parachutage de Duerne, peut-être un peu plus en cette année du 60e anniversaire où les rangs des derniers acteurs se sont éclaircis. Derrière la mémoire du colonel Mary-Basset , fidèles à son propre engagement d’après-guerre, ils rappellent le souvenir des parachutistes qui ont oeuvré en cet été 1944 et de ceux du maquis de Saint-Symphorien, les morts au combat, les déportés et ceux que la vie a emporté, non sans espérer que reste vive cette mémoire d’un temps où lutter était le premier des devoirs.

Mary Basset ( 3ème à partir de la gauche) quelques jours après la libération de Lyon . A sa droite le Colonel Descour ( Bayard ). © JP Basset.
Le Général de Gaulle,
Président du Gouvernement
provisoire de la République
DECIDE :
La Croix de la Libération est décernée au Capitaine Basset Raymond
pour le motif suivant :
Rentré dans la Résistance dès les premiers jours après la capitulation, a montré son refus d’accepter les conditions d’Armistice. Par son inlassable ardeur a permis à plusieurs milliers de prisonniers, d’évadés, d’agents des F.F.C., de pilotes alliés abattus, de rejoindre les territoires alliés. A accompli de très nombreux et très importants sabotages contre l’industrie allemande en territoire français. Leur extraordinaire réussite a permis de stopper pour plusieurs mois des industries de première importance pour l’effort de guerre allemand. Arrêté par la gestapo, a réussi à s’évader et à rejoindre les F.F.C.
Raymond Mary-Basset © JP Basset
A toujours tenu à conduire lui-même toutes les opérations entreprises. S’est révélé un organisateur remarquable, un magnifique entraîneur d’hommes animé d’une volonté de lutte farouche, d’un admirable sang-froid, d’un splendide courage et d’un total esprit de sacrifice. Magnifique officier et sincère patriote, a tendu de toute sa volonté vers un but : libérer son pays de l’oppression.
Admirable figure de la Résistance Française.
Londres, le 16 Juin 1944.