Givors, 1er juin 1940.
La gare de Givors canal en juin 1940. © collection Raymond Puget
Le 1er juin 2002, le Progrès publiait dans ses pages locales le témoignage d’un Givordin au sujet du bombardement de Givors en juin 1940 :
"J’ai 6 ans. Nous sommes le 1er juin 1940. Un mercredi, peut-être un jeudi, ça je ne sais plus. Il est, j’en suis sûr, midi pétante. C’est venu de derrière la Madone... des avions italiens... Et ça s’est mis à tomber. C’était la première fois qu’on bombardait Givors. On n’avait jamais vu ça. "
A-t-il la mémoire fidèle ? Et vous, Givordins, témoins ou détenteurs de documents de cette époque, qu’en savez-vous ?
Progrès du 1er juin 2002
A-t-il la mémoire fidèle ? Telle était la question posée au lecteur à la suite du témoignage de J.C. venu attiser le souvenir des Givordins.
Or, nous sommes dans le domaine des défaillances de la mémoire et des hallucinations collectives qui reviennent souvent au sujet des avions italiens.
En ce qui concerne la région lyonnaise le 1er et le 2 juin 1940, les historiens signalent des bombardements ALLEMANDS sur les centres industriels de la Vallée du Rhône les 1 et 2 juin 1940. Les archives gardent trace et preuve de l’évolution de la Luftwaffe dans notre ciel.
Christian-Jacques Ehrengardt, rédacteur d’Aero-journal, m’a précisé que les avions du 1er Juin 1940 appartenait à la KG 53, basée en Bavière. Leurs objectifs étaient des gares de triage entre Ambérieu et Voiron. "Tes" He 111 sont probablement 36 appareils du II./KG 53 partis de Großostheim, près d’Aschaffenburg. L’un d’eux sera abattu par les Suisses et finira sa carrière à Oltingue ; l’équipage sera fait prisonnier. Mais je reste prudent sur l’identité de ces appareils, ne disposant pas des archives complètes de la KG 53."
On apprend d’ailleurs, toujours dans Aero-Journal ( N° 19 consacré aux aviateurs polonais ), que le 1er juin huit Morane attaquent 9 HE 111 au nord de lyon. Les combats s’étendent à 60km au sud de lyon. deux avions allemands sont abattus .
Outre le fait que le 1er juin 1940, l’ITALIE N’EST PAS EN GUERRE contre la France ( elle attendra prudemment le 10 juin 1940 ! ), l’erreur vient sans doute du récit d’un témoin publié par la Tribune de Juin 1940 qui entretient le doute :
" (...)15 mn plus tard, une vingtaine d’avions apparaissent. Le canon est muet. la chasse est absente. Ils arrivent par le sud, mais ils viennent de l’est, et l’Italie n’est pas en guerre. Amis ? ennemis ? ... le doute est promptement éclairci. une grêle de bombes tombent et explosent à la fois dans un fracas étourdissant. une à Givors-ville, tout le reste à Givors canal (...)"
Il n’en fallait guère plus pour que tous ceux qui avaient vécu le bombardement de juin 40 soient persuadés se souvenir d’avions italiens .
Certes, à Givors, les avions viennent du Sud-Est , mais cela ne signe pas l’origine. Même en venant d’Allemagne, on peut dépasser Givors par l’est pour attaquer par le Sud Est pour des raisons x ou y qui tiennent aux lieux, aux points de repère , à la météo , à la position de la chasse française etc.
De plus, quand on voit un avion passer à x mètres, un avion qui bombarde, il faut être fin connaisseur pour reconnaître le modèle ou distinguer sa cocarde ou son sigle sous les ailes et un peu kamikaze pour rester à le regarder au lieu de s’abriter.
Ce bombardement du 1er juin 1940 est donc l’oeuvre des allemands.
Au moment de la collaboration, on préfère sans doute enraciner l’idée des avions italiens bombardant Givors, plutôt que d’évoquer l’Allemagne, pays avec lequel on entretient des relations "cordiales" et pour lequel travaillent désormais les usines et leurs ouvriers, bombardés en juin 1940.
Tout en restant passionnée par les témoins, les témoignages et la mémoire orale, je n’en reste pas moins méfiante sur des sujets comme celui-ci.
Evelyne Py. 3 juin 2002. Réponse au Progrès de Lyon
La Mairie de Givors a voulu en avoir le coeur net. La réponse des services d’archives allemands en août 2002 a été sans équivoque :
"Les avions étaient Italiens"... sauf qu’ils étaient bien allemands.
Réponse des services allemands - 16 août 2002.
"Pas de fumée sans feu ?"
J’ai longtemps pensé que la rumeur des "avions italiens" était née pendant la guerre sous la plume des journalistes qui peut-être comme aujourd’hui faisaient et défaisaient l’opinion. J’ai exploré les collections de vieux magazines ( Match, 7 Jours, Signal) et journaux ( Le Figaro et la Croix) ... en vain.
S’il est certain que l’entrée en guerre de l’Italie est connotée négativement, les journaux de 1940 explorés n’attribuent pas les bombardements et mitraillages à l’aviation italienne.
Ainsi Le Figaro du 3 juin 1940 est très clair dans l’origine des bombardiers sur la région lyonnaise !
Si les faits sont têtus, les légendes sont tenaces

Dans Aéro Journal N°28 ( décembre 2002 - janvier 2003 ) ( 6,55 € )
Qui d’entre nous n’a jamais entendu parler des colonnes de réfugiés mitraillés par des avions italiens en traversant les ponts de la Loire ?
D’éminents chercheurs ont beau avoir tenté d’expliquer que les bombardiers italiens de l’époque (Fiat BR.20) n’avaient pas la capacité de franchir les Alpes et de remonter jusqu’à Montargis ou Orléans avec leur charge offensive, rien n’y a fait. D’ailleurs, des témoins dignes de foi ont formellement reconnu les cocardes vert-blanc-rouge sur les avions, marques de nationalité qui, soit dit en passant, n’étaient plus en vigueur dans la Regia Aeronautica à cette époque... Mais, peu importe. Selon l’homme qui connaît l’homme qui a vu l’ours, il s’agissait d’avions opérant au sein d’une unité secrète basée en Belgique.
Mettons-nous une minute dans la peau d’un civil qui, avec sa famille, fuit l’avance inexorable de la Wehrmacht et franchit un pont de la Loire. Brutalement, des avions surgis de nulle part mitraillent la colonne de réfugiés dont il fait partie. D’abord, visent-ils exclusivement les civils ou les colonnes militaires qui montent au front en sens inverse ? Passons. Ce civil, donc, fait comme tout le monde. Il plonge la tête la première dans le premier fossé venu. Quand on a le nez dans les pissenlits, il est assez difficile de regarder les avions qui vous mitraillent. Il est vraisemblable que le souci d’identifier lesdits avions n’est pas la priorité du moment. Quand tout danger est écarté, notre civil se relève et, à ce moment, un homme crie : “ Salauds d’Italiens ”, ou quelque épithète du même genre, en levant un poing rageur vers le ciel désormais vide. Un cri rapidement repris en chœur par les survivants q ui comptent leurs morts et leurs blessés.
La légende est née. Mais, elle n’est pas née par hasard. Pourquoi, en effet, ne pas avoir accusé les Allemands, alors que tout porte à croire que ce sont eux qui sont responsables de ces attaques ? Une hypothèse peut être avancée.
L’entrée en guerre de l’Italie, le 10 juin 1940, a été ressentie comme un “ coup de poignard dans le dos ”, selon les termes de François Poncet, ambassadeur de France auprès du comte Ciano. Depuis le début du siècle, l’immigration italienne en France avait été suffisamment importante pour que des noms à terminaison en “ o ” ou en “ i ” se soient enracinés sur notre territoire. Leur loyalisme à la République française n’a jamais été remis en cause. Plus que n’importe quels autres Français de souche (mais il faudra que l’on m’explique ce que ce terme signifie), ils se sont sentis trahis par leurs lointains cousins. Comme Nicola Malizia l’a souligné dans son article paru dans le précédent numéro, les plus vindicatifs contre les aviateurs italiens abattus ont été des gens qui parlaient un italien impeccable. Curieux hasard.
Mais, il n’était point nécessaire d’être fils ou petit-fils d’émigré italien pour avoir été révolté par l’attitude de Mussolini. L’Allemand était notre ennemi, l’Italien notre ami. Le 10 juin fut pour beaucoup une véritable trahison. Il ne pouvait y avoir que des traîtres pour mitrailler des convois de réfugiés.
Pour résumer brièvement, tandis qu’aux terrasses des cafés parisiens en juillet 1940, les bons Français de pure souche estimaient que les Allemands étaient “ corrects ”, dans nos campagnes, le salaud de service était l’Italien. Les premiers étaient nos vainqueurs, les seconds des charognards opportunistes.
Rappelons seulement que les déportations dans les camps de la mort et les exécutions massives furent l’œuvre des Nazis, pas des fascistes italiens.
© C-J Ehrengardt