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Journal du Docteur Ravon
Journal du Docteur Ravon
 



 
 

mardi 8 mars 2005 par Evelyne Marsura

Le Docteur Eugène RAVON, médecin généraliste, appelé Papé par ses petits enfants, a écrit un journal depuis le jour où il s’est installé comme médecin, le jeudi 29 juin 1899, jusqu’à l’avant veille de sa mort, le dimanche 23 janvier 1955. Il n’écrit pas tous les jours, mais lorsqu’il ressent le besoin de fixer sur le papier des événements importants, familiaux ou nationaux. Ce sont souvent des relations d’événements tels qu’ils sont lus dans la presse locale ou entendus à la radio ou entendus par des témoins. Dès le printemps 1944, il est installé, en partie, à Montreynaud, village proche de Saint Etienne. En 1944, les aviations alliées, Anglais et Américains, bombardent les centres industriels, les nouds ferroviaires et routiers de la région.

Jeudi 25 Mai 1944

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Givors. 25 mai 1944

Comme il fait très beau aujourd’hui, les avions anglo-américains sont venus nombreux sur la France. A midi 1/2, l’alerte a sonné et peu après on a entendu comme un roulement de tonnerre vers Lyon. Dans la soirée on a su qu’ils avaient bombardé du côté de Vénissieux et de Givors et qu’il y avait 50 morts et 100 blessés, environ. Dans l’Ain une localité a été touchée aussi et il y a 10 morts et 40 blessés. Toulon a reçu également leur visite à nouveau et une petite localité voisine a 15 morts et 60 blessés. Ils ont également bombardé l’Allemagne qui annonce leur avoir descendu 155 avions dans la journée.

Vendredi 26 Mai 1944

Il fait beau, le temps est très clair. Vers 10 heures la sirène retentit ; 1/4 d’heure à peine s’écoule et on entend le bruit des avions. Du balcon on voit une escadrille d’avions tout blancs voler très haut, il y en a une vingtaine. Tout à coup un roulement formidable se fait entendre suivi d’un fracas épouvantable du côté du Marais et du côté de la Gare. C’est un bombardement. Ça continue plus fort car les bombes éclatent vers le boulevard Jules Janin, vers la Manu. Dans les rues, les gens se sauvent, la police et la D.P. arrivent et obligent à descendre dans les abris. Du balcon on aperçoit deux énormes nuages de fumée vers Bel Air et vers la Chaléassière. Une nouvelle vague d’avions se fait entendre et aussitôt c’est le bruit assourdissant (comme celui d’un train lancé à toute vitesse) des bombes qui arrivent, puis l’éclatement formidable. Il est prudent de se mettre à l’abri. Au galop, nous entassons dans une valise papiers, argent, titres et nous descendons à la cave. Il y a là un abri solide installé par la D.P. et tous les gens de la maison y sont déjà. Une femme hurle de frayeur, on la fait taire. A nouveau une nouvelle vague passe en bombardant, puis ça se calme. Nous remontons. Mais en voilà encore et nous redescendons. Vers 10 heures 45 ça paraît calmé et nous quittons l’abri. Déjà, dans la rue, des autos, camions, ambulances, passent à toute vitesse emmenant des blessés vers l’hôpital. Berthe et Germaine téléphonent pour donner et avoir des nouvelles. Pas de mal à personne. C’était la confirmation de Marie-Paule à St-Charles, Berthe est allée en courant la chercher et elle n’a pu être confirmée. Paul est parti avec une équipe de la Croix Rouge, Dico est parti à l’Ecole Professionnelle... Je pars faire une visite et je trouve ma malade dehors. Elle me dit : « Je vous attendais pour savoir si je pouvais me lever ; mais dès que j’ai entendu les bombes, j’ai sauté de mon lit et me suis sauvée dans la rue. » Partout les gens sont dehors, commentant les événements. Des gens donnent des détails : les premières bombes sont tombées sur le Pont-de-l’Ane, la Montat, la gare où il y aurait beaucoup de morts ; ensuite le Soleil a été fortement touché, le Marais et toutes les usines de ce quartier : Barroin, Fulmen, Leflaive etc. On dit que l’école d’apprentissage de la rue des Aciéries a reçu des bombes et qu’il y a des blessés. La Manu a peu souffert, mais un tram stationné sur la petite place, est en miettes. L’école enfantine de Tardy est touchée et on craint que beaucoup d’enfants ne soient tués... La grande artère, dans notre quartier, grouille de gens rassemblés qui regardent tristement le défilé incessant d’autos de toutes sortes où l’on voit des corps étendus sur la paille, des blessés assis ou couchés, noirs de fumée et de plâtras, souillés de sang. C’est lamentable. Des blessés viennent à la maison se faire panser ; on me fait aller chez des clients panser une blessée. Il est 1 heure lorsque nous pouvons nous mettre à table... Après-midi, la rue reste noire de monde allant voir les dégâts, importants dans notre quartier. Et toujours des autos qui transportent des morts et des blessés vers l’hôpital et les cliniques. Des gens passent en portant des paquets et des valises, ou poussant des bicyclettes chargées de ce qu’ils ont pu sauver, et cherchant un refuge chez des parents ou des amis. Des camions passent aussi, chargés de meubles, de matelas sauvés du désastre ; d’autres transportent des familles entières sans abri qu’on emmène vers des centres d’accueil improvisés. Ça rappelle absolument l’exode de Juin 40... A 4 heures je pars voir les dégâts : rue du Haut Treuil et Desjoyaux on ne passe pas car il y a des bombes à retardement non éclatées. Boulevard Jules Janin, des bombes sont tombées sur les maisons du marchand de meubles et des pâtes Saveret et l’incendie a tout détruit. Rue Neyron c’est la désolation : des immeubles entiers effondrés, la rue barrée par les décombres. De là on découvre admirablement le quartier sinistré : un gros incendie chez Barroin ; au-dessous de nous la gare en partie démolie, le dépôt des machines effondré, les voies coupées ; plus loin les masures du puits du Treuil effondrées, des maisons de la rue de l’Ecole et rues avoisinantes entièrement détruites ; l’hospice du Soleil très touché. Au loin un gros nuage de fumée noirâtre, c’est le dépôt de Benzol du puits Verpilleux qui brûle. Puis à droite l’église de Montieux et l’église St-François paraissent bien touchées. A un moment donné, on voit les gens qui, dans les rues du Soleil, se mettent à courir, une vraie fuite ; et quelqu’un dit : « c’est une alerte, mais les sirènes ne fonctionnent pas, faute d’électricité. » Et les gens de se sauver. Je continue rue Neyron où la rue est barrée par des monceaux de pierres qu’il faut franchir comme on peut. A Fourneyron, gros dégâts. A l’angle de la rue Ferdinand, un bel immeuble est entièrement démoli et les pompiers arrosent les décombres qui brûlent. Rue de la Montat, beaucoup de dégâts : l’immeuble du Casino n’a plus une vitre, beaucoup de fenêtres sont enfoncées ; plus loin un immeuble est entièrement effondré et on travaille à retirer des morts et on croit qu’il y en a encore dessous. L’église St-François est curieuse à voir : son clocher byzantin est indemne et tient par miracle sur une église percée à jour de part en part. On dit qu’au moment du bombardement, on célébrait un mariage qui se réfugia dans la crypte, mais beaucoup d’assistants furent tués. Rue de St-Chamond, on marche, d’un bout à l’autre, sur des débris de vitres ; un gros immeuble est éventré et à sa base, dans la rue, on voit un entonnoir d’au moins 10 mètres de diamètre. Un peu partout, des agents empêchent de passer en raison des bombes à retardement qu’on découvre. Quelqu’un dit qu’on estime à 9.000 environ les bombes qui sont tombées sur St-Etienne. Le lycée de garçons est transformé en centre d’accueil pour les milliers de gens sans abri. Je termine ma tournée par la place Chavanelle, interdite en raison de 2 grosses bombes non éclatées... Dico dit que dans le quartier de St-François, il y a eu plus de 70 morts et des quantités de blessés. Paul a travaillé rue Barra, puis au Soleil, toute la journée et revient épouvanté des dégâts de ce quartier...

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Lyon bombardé
Photographie des archives municipales de Lyon avec l’autorisation de la conservatrice. http://www.archives-lyon.fr/liens/index.html

La radio ce soir annonce que ce matin Lyon a été bombardé à nouveau et qu’il y aurait 300 morts et 1.000 blessés ; à St-Etienne 250morts et 800 blessés ; à Chambéry 50 morts et 100 blessés. Ce ne sont là que des chiffres provisoires et, malheureusement, il faut s’attendre à beaucoup plus... Toute la soirée on voit passer des gens portant paquets et couvertures, ou poussant des voitures chargées de matelas, de couvertures rouges et de vivres, à la recherche d’un abri pour cette nuit. Nous nous souviendrons de la journée du 26 Mai ! Pourvu qu’il n’y ait pas d’alerte cette nuit.

Jeudi 27 Juillet 1944

Nuit dramatique et terriblement angoissante. Vers 1 heure ½ du matin, le tonnerre qui grondait depuis un moment, éclate subitement auprès de nous et réveille en sursaut tout Montreynaud : plus d’électricité. Presque aussitôt une véritable trombe s’abat, les éclairs se succèdent, le tonnerre reprend et, pour corser le tout, dans l’intervalle des pétarades célestes, on entend le ronflement des avions. Ils volent même assez bas car le bruit devient assourdissant par moment, puis diminue, puis reprend. On se demande s’ils ne bombardent pas, mais il semble bien que ces coups qui ébranlent tout, sont dus à l’orage, non aux avions. Vers 2 heures seulement, les sirènes se mettent à donner le signal d’alerte danger, mais depuis un bon moment on entend les gens du Marais et du Cottage, qui errent dans la nuit, cherchant à s’abriter de l’averse sous les hangars voisins, s’appelant, criant. Et toujours la ronde infernale se poursuit au milieu des éclairs et des coups de tonnerre. C’est angoissant à l’extrême, lorsqu’on les entend au-dessus de la maison, volant très bas. Par moment, ils jettent une fusée éclairante et la nuit en est toute illuminée. Enfin, vers 2 heures 1/2, l’orage s’apaise et les avions disparaissent. Quelle nuit !

(GIF)
Givors. Juillet 1944

Dans la matinée on apprend qu’ils sont allés bombarder Givors, Badan ; la voie Givors-Lyon est démolie, il y aurait une vingtaine de tués et 50 blessés. Sur St-Etienne, ils n’ont rien fait ; mais ça a été l’affolement général : les gens fuyant sous l’orage à la recherche d’abris dans la nuit, avec sur la tête ces avions qui volaient très bas, lançant leurs fusées éclairantes, chacun s’attendant à chaque minute à recevoir des bombes comme il y a 2 mois ! Dans l’abri de la Préfecture, on était serré comme des harengs, il y avait 2 à 3.000 personnes ; dans les abris de la place Marengo, ça grouillait, ça criait, ça pleurait, c’était effrayant nous raconte Eléonore qui s’y était rendue avec ses filles...

Témoignage du Docteur Ravon. Archives Général Tillon. © memoire-net.org



 

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