Philippe Bauduin avait 14 ans en ce 5 juin 1944 ; le siège de Caen allait commencer :
"Le 5 juin 1944, jour de mon anniversaire, je passais mon certificat d’études [1]sans qu’aucun signe extérieur ne puisse nous donner une indication sur les événements qui allaient survenir. La nuit du 5 au 6 juin ne fut pas très bonne pour moi car je n’étais pas sûr d’avoir réussi mon examen.
Au matin, nous avons entendu un grondement sur la côte, j’ai regardé un peu dans la rue et j’ai vu, remontant de la place des Petites boucheries par la rue Guillaume, un char gazogène. J’ai trouvé cette chose assez extraordinaire et futile du fait de cet étrange équipement qu’une seule balle aurait suffi à arrêter.
A 13h30 nous avons vu les premières escadrilles d’avions arrivant de l’ouest. Ils avaient dû passer au dessus de Carpiquet et de la position où nous nous trouvions, rue Saint-Martin, nous les avons vus commencer à larguer leurs bombes au dessus de Saint Etienne. Tout le centre ville était visé et bombardé. Là, nous avons commençé à chercher des abris dans la maison. Nous avons subi un deuxième bombardement au cours de la journée, identique au précédent.
Le soir nous avons couché dans un abri construit par mon père au fond du jardin. Ce n’était pas très confortable et le temps n’était pas très chaud."

Bombardement de Caen. Conseil Régional de Basse-Normandie / Archives Nationales du CANADA. http://www.archivesnormandie39-45.org
Et le jeune Philippe note alors dans un cahier les sensations et sentiments de ces angoissantes journées de la Bataille de Caen vécues dans l’abri de fortune, la recherche de nourriture, le retour des bombardiers, les tirs d’obus, les maisons éventrées, parfois pillées, la mort qui frappe...
« En trois mois , je suis passé du garçon innocent à l’homme.
J’ai vu les bombes toutes neuves et brillantes nous tomber sur la tête, celles-là ne sont pas dangereuses, ce sont celles qu’on ne voit pas qui le sont. En une matinée Caen a été détruit. Les bombardements étaient censés détruire les ponts et les voies ferrées.... Les "Twin Towers" brulèrent deux ou trois mois, Caen brûlera sept mois ! Je me souviens qu’en janvier 45 la ville brûlait encore sous une épaisse couche de neige.
Des abris en tranchées avaient bien été construits par la Défense Passive dont mon père architecte faisait partie, des hommes qui avaient fait la Grande Guerre et qui n’avaient en définitive pas idée que la puissance de feu d’alors n’était pas comparable à celle de 1944. Nous avions une tranchée de ce type dans notre jardin où nous avons passé la première nuit. Les malheureuses tranchées se révélèrent pire que tout. A Verdun on résistait dans une tranchée, à Caen, en 44, ce n’était plus possible !
Le 7 juin, nous sommes allés nous abriter dans la cathédrale construite par Guillaume le Conquérant. Un dicton rapporte que lorsque les flèches de cette cathédrale s’écrouleront , il en sera de même de la dynastie anglaise !
Le quartier de Philippe Bauduin et l’Eglise
Un couple d’habitants regarde un bulldozer canadien qui déblaie les ruines des maisons de la rue de Bayeux. Au fond, l’abbaye aux Hommes est restée intacte malgré les bombardements. Conseil Régional de Basse-Normandie / Archives Nationales du CANADA. http://www.archivesnormandie39-45.org
Puis, après quelques jours, mon père a découvert que l’hôpital militaire allemand en béton était abandonné. Après avoir déblayé les membres meurtris dans les débris d’uniformes, nous nous sommes installés là jusqu’à la libération de la ville. Mon père ne pouvait pas partir, il était quasiment le seul à savoir comment faire "La Part du Feu" et éteindre les incendies en les soufflant à la dynamite. Seuls partaient ceux que les allemands chassaient sous la contrainte.
Il n’y avait plus ni électricité, ni eau, ni pompiers... rien. Nous allions dans les champs chercher des pommes de terre ou des vaches pour les abattre et je charriais de l’eau avec une tonne à cheval pour les sinistrés de notre entourage. Chacun se débrouillait comme il pouvait.
Le siége dura six semaines. »
Philippe raconte Caen , jour après jour, dans son cahier d’écolier. A lire sur le site de Patrick Elie, D-Day Normandie
Il raconte jusqu’en juillet 1944 et à l’arrivée des Ecossais de la 3ème Division Britannique.
Après la Libération de Caen, jusqu’à la rentrée des classes, il a accompagné les troupes anglaises dans la campagne normande.
« Mon destin s’est figé là, je savais que je serais militaire ou ingénieur. »
Après des études secondaires et supérieures scientifiques à Caen, Philippe Bauduin effectue son Service Militaire dans l’Armée de l’Air en qualité de lieutenant : Officier de Renseignement, Interprétateur Photo. Libéré, il devient ingénieur de recherche, puis ingénieur du CNRS auprès de l’Université de Caen et en 1982, Directeur de la Technologie de l’ANVAR à Paris.
Copyright Philippe Bauduin - 2004