En 1944 j’étais dans la classe de M. Porte. Après que les sirènes se soient tues, on nous a fait descendre dans les caves pour nous mettre à l’abri en attendant que cesse l’alerte ou que nos parents viennent nous récupérer.
Nous étions tous calmes et sans crainte. Je jouais aux billes en équipe avec Paul Magand, un copain de ma classe... Un instituteur, M. Frappa est venu à la porte d’entrée de notre cave et nous a dit : « Les enfants, cette fois c’est pour nous, rangez-vous contre le mur. » J’ai obéi, la seule lampe qui éclairait la cave s’est éteinte et dans la même seconde une immense et magnifique lueur a enveloppé le maître. Je l’ai vu s’effondrer dans l’éclair, ce fut le noir et le silence.
A quatre ou cinq gamins, nous nous sommes tâtés et reconnus. Au-dessus de nos têtes, il y avait un trou clair, celui d’un soupirail ouvert, sur le coté duquel pendait un fils de fer arraché au béton. Grâce à ce câble nous nous sommes hissés chacun notre tour vers l’extérieur. J’étais, je le crois, le troisième rescapé, hélas derrière moi il n’y en eut pas beaucoup plus. Sortis à plat ventre de ce trou nous avons été accueillis par une brave marchande de journaux qui nous a conduit dans les champs de blés à la Cotonne. J’ai vu alors un de nos copains de quartier « le Dud Allemand » qui ramassait des hirondelles abattues par l’orage des bombes. j’ai vu les maisons effondrées, j’ai vu une femme assise sur le bord de la rue, qui d’une main protégeait son cabas à provisions et qui de l’autre contenait ses tripes qui débordaient de son ventre ouvert, J’ai vu le Loul Leydier avec son mollet arraché, c’était un grand, il avait onze ans.
Vision et situation surréalistes... Dans la seconde j’avais perdu mes copains, mes maîtres, mon école, mon quartier et je ne le savais pas encore, j’avais perdu ma maman tuée à l’angle des rues de Tardy et de Montferré.
A la pharmacie, place Tardy au-dessous de chez moi, il y avait la queue, M. Grangeversanne, le préparateur dispensait ses soins.
J’étais sale et maculé de sang, j’avais été blessé à l’arcade sourcilière, mais je n’avais pas peur.
Ma première nuit après, je l’ai passée dans la maison de mon oncle, rue Dombasle, je ne dormais pas, je guettais les bruits, j’ai su alors ce que c’est de crier de terreur au passage des avions...