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samedi 19 février 2000 par
Evelyne Marsura
Il y a dans l’armée allemande - comme dans toutes les armées - des étrangers [1]volontaires pour combattre idéologiquement aux côtés du Reich nazi, ou enrôlés dans les territoires occupés au fur et à mesure des besoins militaires croissants [2]. Parmi eux, des Soviétiques dont la réalité est assez complexe à appréhender du fait de la situation politique et ethnique du pays. Les populations de la vallée du Rhône craignent leur passage en 1944 et les récits se multiplient, réels ou imaginaires, au sujet de ces "Mongols" dont le destin est pourtant à la fin de la guerre bien particulier.
 "Les Tatars" d’Estivareilles de l’Ideal Ural Tatar Légion © Evelyne Marey
Des "Germano-Mongols" dans la région
Estivareilles nous offre un aperçu étonnant du combat de ces « Soviétiques » en uniformes allemands en 1944. D’un côté, 14 déserteurs russes [3]de la garnison de St-Etienne qui combattent dans les rangs de l’Armée Secrète avec le G.M.O. « 18 juin ». On leur a donné un Chef Alsacien Robert Muller qui dialogue avec eux en Allemand. De l’autre côté, des « Mongols » dont on oublie qu’ils sont aussi citoyens d’URSS malgré leurs « yeux bridés ». Ils appartiennent à la Légion des Tatars de la Volga qui est venue renforcer la garnison du Puy [4]. Tous ne sont pas Tatars ou Soviétiques, mais on assiste à un combat en partie russo-russe durant lequel les "Russes" devenus résistants encouragent les "Russes" encore dans l’armée allemande à déserter. Sans grand succès d’ailleurs puisque seuls un Ukrainien et un Italien se laissent séduire.
Autres images de cette fin 1944. Les photographies de la Caserne de la Part Dieu à Lyon nous montrent des Russes honorés au nom de l’Alliance Franco-russe contre le nazisme alors que, quelques semaines plus tôt, les Rhodaniens vivaient dans l’angoisse de l’arrivée des « hordes de germano-mongols », une appellation d’autant plus surprenante qu’on connaît le mépris des nazis pour les peuples slaves en général et pour les soviétiques en particulier. D’ailleurs, les Allemands parlent plus volontiers de « Cosaques » : une référence à une origine ethnique et à une valeur guerrière plus acceptables ?
Pourquoi ces soviétiques dans l’Armée allemande ?
Est-ce le rejet du système soviétique qui unit au départ ces « Soviétiques » en uniforme allemand ? La réponse est complexe. Pour simplifier, on peut distinguer trois cas généraux. Certains sont des soldats déserteurs de l’Armée Rouge ou des civils, volontaires des régions russes européennes. Ils se sont engagés dans l’armée allemande contre le régime russe soviétique. Dans les « Républiques » asiatiques périphériques qui ont gardé en mémoire la brutalité de leur rattachement à l’Union, la population semble avoir accueilli les Allemands comme des libérateurs et le combat aux côtés de l’Allemagne a pour objectif l’indépendance du pays. Mais, il y a aussi des « russes » enrôlés dans les Camps de Prisonniers du front Est et plus ou moins volontaires pour échapper ainsi aux dures conditions de la détention.
Si Hitler a d’abord été « catégoriquement opposé à n’importe quelle forme de participation des citoyens soviétiques dans la guerre contre la Russie » [5] - ce qui n’empêche pas d’ailleurs leur recrutement à son insu - la création de Légions Orientales " Ostlegionen " avec des volontaires de nationalités non-russes semble avoir rencontré moins d’opposition de sa part. C’est ainsi que les Légions de l’Est sont formées avec des Tatars, des Ouzbèques, des Kazakhs, des Kirghiz, des Tadjiks, des Adzerbaijanais, des Tchétchènes, des Géorgiens, des Arméniens, des Ukrainiens, etc. puis d’autres nationalités non-soviétiques au fur et à mesure des besoins.
Qu’en est-il de leur présence en France ? C’est à la fin 1943 que la majeure partie des « troupes orientales » ont été peu à peu relevées du front russe où elles étaient engagées essentiellement sur les arrières des armées allemandes et qu’elles ont été envoyées sur d’autres fronts en Pologne, en France, en Italie, dans les Balkans... Il y a ainsi 23 bataillons des Légions de l’Est incorporés dans la VIIe Armée Allemande du Nord-Ouest. Les « Russes » sont organisés soit en unités spécifiques, parfois de la Waffen SS , soit intégrés dans des unités allemandes. Si certaines semblent s’apparenter à des troupes d’élite « particulièrement courageuses pour les Légions Tatares », d’autres se montrent aux dires des allemands « sans véritable valeur au combat » et désertent dès que l’occasion se présente en particulier au moment de la retraite en liquidant parfois avant leurs officiers allemands.
Des "Mongols" à la réputation sinistre.
Il est vraisemblable qu’à une époque où l’approche des autres races était un phénomène moins courant que de nos jours, les Français désignaient sous le nom général de « Mongols » des groupes d’ethnies diverses, facilement mémorisés sous l’image de troupes barbares « au rire sauvage » et « aux yeux bridés » On a ainsi affaire à des combattants d’une autre culture, où le chef se distingue « au nombre de montres qu’il arbore au bras » [6]. Il n’est pas étonnant de rencontrer aussi des récits dans lesquels des « soldats asiatiques cherchent des chevaux parfois à un kilomètre de distance de leur axe de retraite dans la vallée de Beaunant ». Le récit des combats d’Estivareilles précède le passage des troupes allemandes importantes dans la vallée, et les témoignages rapportant le comportement cruel de ces troupes asiatiques alimentent cette peur des Mongols : « ils vont piller et brûler les maisons, violer les femmes, couper les doigts des enfants... » A Sainte-Foy, une femme venant de Dortan ( Ain) raconte les scènes atroces qui s’y déroulèrent lorsque les Mongols furent "lâchés sur Dortan par représailles, pour punir le village de son hospitalité au profit du Maquis." [7]Et la mémoire collective garde trace de ces peurs à Saint-Michel-du-Rhône, à Givors, à Grigny comme à Oullins :« Déjà les Mongols et l’arrière-garde allemande sont là" » !
Il semble que les officiers allemands - éduqués par une idéologie qui distingue « les asiatiques » et les « slaves » - méprisent ces soldats « slaves » renommés pour leur brutalité, leur goût du vol et de l’alcool, une réputation peut-être renforcée par les débordements du groupe Kaminski lors des combats près de Varsovie en 1944 ou , plus près de chez nous, par la mutinerie fin 1943 des Croates de la 13e division de montagne W. SS "Handschar". Ils semblent tenus à distance des allemands lors des cantonnements et surveillés par une sentinelle armée. Dans la propriété d’un médecin de Brignais, l’officier allemand responsable du cantonnement conseille au propriétaire de prendre une arme et de menacer de les abattre à la moindre incorrection. « Et surtout ne leur donnez pas à boire ! Quand ils ont bu nous ne pouvons plus les maîtriser ! » [8]
L’éloignement de la patrie a sans doute fait disparaître leur principale raison de combattre quand il s’agissait de combattants volontaires ; pour d’autres, l’appel des maquis s’ajoute à la confusion allemande lors de la retraite.
Après la Libération de la France
Mais, on peut se demander aussi quel a été l’effet sur ces soldats soviétiques engagés en France sous l’uniforme allemand des tracts lâchés par les Armées de l’Air alliées à l’été 1944 ? La récompense promise pour leur arrêt des combats était « le rapide rapatriement vers l’URSS » ! Une telle promesse peut très bien avoir contribué à un combat désespéré des soldats des formations orientales et peut expliquer certains agissements extrêmes de ces combattants particuliers, traîtres à leur patrie, dédaignés par leurs « protecteurs », haïs par les populations des régions traversées...
Car, quelle que soit l’issue de la guerre et quel que soit le dernier combat choisi, ils sont en effet promis à une situation des plus inconfortables, si ce n’est tragique. D’abord prisonniers quand ils ne sont pas morts dans les combats ou sous les foudres de la population, sans doute employés aux travaux urgents de 1944-45, la plupart ont été rapatriés vers le pays et le système qu’ils avaient fuis et où les attendait généralement une place au Goulag. Considérés comme des traîtres au régime, on peut imaginer ainsi aisément l’accueil qui leur a été réservé [[Bien des prisonniers de guerre soviétiques subiront le Goulag au retour en URSS pour "trahison à la patrie". Les Tchétchènes, Kalmouks, Tatars, etc., sont ainsi déportés pour avoir collaboré avec les nazis. (Le siècle des camps, Joël Kotek et Pierre Rigoulot, JC Lattrès, 2000.) Pour Pavel Polian, de l’Académie des sciences de Russie, les parcours des près de deux millions d’hommes rapatriés en URSS sont bien plus complexes et diversifiés que la rumeur de leur disparition collective au « Goulag ». Certains, à leur arrivée, furent remobilisés dans l’Armée rouge ou dans des bataillons de travail. D’autres, dont tous les officiers, firent partie des « contingents spéciaux », objets d’une enquête politique et assignés à résidence pour six ans dans des régions éloignées comme Kolyma. Même après cette période, il leur fut interdit de s’installer dans les grandes villes et les régions frontalières et ils furent l’objet de contrôles répétés. ]D’ailleurs, dans l’Armée Secrète de la Loire, plus personne n’a jamais eu de nouvelles des quatorze "Russes" d’Estivareilles retournés au « pays ».
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notes :
[1] Environ 2.000.000 d’étrangers ont servi dans les forces allemandes de combat, beaucoup en tant que volontaires , d’autres par des degrés variables de conscription
[2] La Wehrmacht s’est vue contrainte de faire un appel croissant à des nationalités différentes pour combler les vides liés aux campagnes successives en Europe, an particulier à partir de l’hiver 1942-1943 sur le front de l’Est..
[3]
Il y a d’autres cas de recrues russes dans les formations de la Résistance . Voir un article du Casoar, revue de Saint-Cyr, général Georges Roidot
[4] Deux habitants d’Estivareilles se souviennent " de l’incursion dans leur maison de combattants aux yeux bridés et aux uniformes Gris-de-fer sur lesquels on discerne un arc jaune sur écusson bleu clair et l’inscription Idel Ural Tatar Légion." Trois régiments de ces Légions de l’Est étaient venus renforcer les troupes allemandes stationnées au Puy-en-Velay. Concernant la présence de cette unité, Snezana et Srdjan précisent qu’une partie des volontaires tatares de Crimée a été transférée en France et incluse dans le bataillon de réserve de la légion tatare de la Volga de la ville du Puy. La légion Idel-Ural a apparemment porté plusieurs formes d’écusson, dont la troisième, tardive apparemment, correspond à la description. On y voit, dans un ovale un arc avec une flèche et, autour l’inscription "Idel-Ural Tatar Legion", le tout jaune sur un fond que l’on nous décrit comme bleu clair. On retrouve bien là les couleurs traditionnelles des drapeaux des peuples issus de la Horde d’or, l’arc étant par ailleurs court, du type mongol.
[5] Russian Volunteers in the German Wehrmacht by Lt. Gen Wladyslaw Anders, edited by Antonio Munoz & Jason Pipes : En automne de 1941, Field Marshal von Bock avait envoyé à Berlin un projet détaillé pour l’organisation d’une armée de libération d’environ 200.000 volontaires russes. Il a été retourné en novembre 1941 avec la notation que de " telles pensées ne peuvent pas être discutées avec le Führer, ".
[6] Russian Volunteers in the German Wehrmacht by Lt. Gen Wladyslaw Anders, edited by Antonio Munoz & Jason Pipes
[7] René Laplace, le combat d’Oullins. A propos de Dortan dans l’Ain totalement incendiée le 21 Juillet 1944 : "Mais ce n’est pas l’Allemand qui survient : ce sont les Mongols lâchés sur Dortan par représailles, pour punir le village de son hospitalité au profit du maquis. Et ce sont les horreurs coutumières commises par ces barbares aux yeux bridés : viols collectifs, femmes agonisantes, incendie du village avec, souvenir hallucinant, le grnd rire sauvage des Mongols jouant devant les flemmes avec des vélos d’enfants ou une petite automobile à pédales (...)", page 28
[8] René Laplace, le combat d’Oullins, p 136.
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