Le 14 octobre 1944, le Caporal infirmier Georges BLIND est à son domicile et se prépare à prendre son service de nuit au poste central des Sapeurs Pompiers de Belfort quand la Feldgendarmerie vient l’arrêter. A 20h00, il pénètre dans la cellule 34 de la caserne Friedrich de Belfort. C’est entre les 15 et 23 octobre qu’il devient le héros de la photographie qui a fait le tour du monde dés 1945.
Il ne sait pas, il ne saura jamais, qu’il vient d’entrer dans l’Histoire comme l’énigmatique « Fusillé souriant ».
De Belfort à Auschwitz
Il quitte la caserne Friedrich le 24 octobre 1944 à 17 h 00 pour être déporté au camp de concentration de Dachau où il arrive le 29 octobre après être passé par le camp de Schirmeck - La Broque. Le 24 novembre 1944, 1014 déportés du camp de Dachau sont sélectionnés pour le camp d’extermination d’Auschwitz. Parmi eux, 863 Français dont Georges Blind, André Hatier et Marcel Dejean.
Ce convoi est aujourd’hui connu sous le nom de « Convoi des Vosgiens [1]. »
« Les Vosgiens » arrivent à Auschwitz le 26 novembre au soir.
Douche, tatouage du matricule sur l’avant bras gauche. Puis ils sont enfermés dans une baraque.
Dans l’après midi suivant, une autre sélection est faite par les S.S. Georges, André, Marcel ainsi que 77 autres Vosgiens partent pour le kommando de Blechhammer [2] où ils parviennent la nuit du 29 au 30 novembre.
Que se passa-t-il alors ? Quel fut le destin de Georges Blind au camp de Blechhammer ?
Pendant longtemps, la famille ne disposait que du témoignage d’André Hatier, un témoignage qui figure en bonne place dans le livre de Christophe Grudler consacré au « Fusillé souriant ». A son retour des camps en 1945, André Hatier affirma que Georges Blind, qu’il connaissait depuis Belfort, entra immédiatement et seul à l’infirmerie dès la première nuit de l’arrivée au camp de Blechhammer. Il ajoute qu’il apprit le décès de Georges quelques jours plus tard.
En 2003, nous [3] reprenons les recherches et retrouvons des survivants qui permettent d’approcher un peu mieux la fin du parcours de Georges.
A Blechhammer
Le témoignage de Marcel Dejean d’abord qui fut l’un de des déportés du convoi des Vosgiens. Il ne se souvient ni de Georges Blind, ni d’André Hatier. Toutefois, dans son récit de Déportation [4], écrit dès le retour en 1945, il décrit ainsi l’arrivée à Blechhammer :
« On nous dirige immédiatement vers les douches. On se déshabille, se douche, on est désinfecté comme d’habitude et passons la visite médicale. Ces formalités une fois accomplies, nous partons en rang vers notre block.
Les quatre vingt, moins un admis à l’infirmerie, sont mis dans la même chambre. »
Ainsi dés 1945, Marcel Dejean confirme qu’un seul Déporté est entré au Revier cette première nuit. Mais son témoignage va plus loin :
« Le lendemain le médecin SS vient passer la visite avec deux médecins Déportés parlant français.
Suite à cette visite, quelques-uns des nôtres sont hospitalisés, notamment pour un cas de scarlatine.
Cette scarlatine contraint les autorités du camp à nous mettre en quarantaine.
Pendant trois semaines, les soixante dix qui restent en provenance du blok 25 de Dachau vont vivre ainsi dans l’étroit espace de leur chambre... »
Marcel Dejean et d’autres Vosgiens survivants sont formels. Personne n’a revu ces dix Déportés. Aucun décès n’a été enregistré parmi les 70 autres Vosgiens jusqu’à l’évacuation du camp le 21 janvier 1945.
Parmi les Déportés déjà présents à Blechhammer lorsque arrivent Georges et ses compagnons, nombreux sont les Juifs de France. L’un d’eux se nomme Jules Fainzang. Ce témoin privilégié, infirmier auxiliaire à l’infirmerie du camp, certifie qu’il n’a jamais vu de Déportés Vosgiens à l’infirmerie, qu’aucun transport de malades ou d’autres Déportés n’a eu lieu vers le camp central d’Auschwitz entre fin novembre, date de l’arrivée des Vosgiens et janvier 1945, moment de l’évacuation du camp. Pourtant, son témoignage [5] donne probablement la clé de la disparition de Georges et de ses neufs camarades :
« Un soir, en rentrant du chantier, nous avons la surprise de découvrir parmi les nouveaux arrivés un groupe de Français. Ce sont des Résistants Vosgiens.
A cette époque, une vingtaine de nos camarades est isolée au fond du block des malades car soupçonnée d’avoir attrapé le typhus.
Ayant déjà eu cette maladie, le docteur HYRSZ décide donc que, si le typhus est bien confirmé par les laboratoires, je resterai en quarantaine avec les isolés.
Très tard, je vois arriver le S.S. Mueller qui ressort avec le docteur YVANTER. Tous deux, discutent longtemps en faisant des allers retours entre l’infirmerie et la baraque sanitaire.
Le lendemain matin, nous sommes frappés par la découverte de la mort de tous nos camarades soupçonnés d’avoir le typhus. Le soir nous apprenons par le docteur YVANTER que c’est le S.S Mueller qui les a assassinés par piqûres. »
Aujourd’hui, notre intime conviction est que Georges Blind présentait à son arrivée au camp les symptômes d’une maladie contagieuse et que Georges et ses neuf camarades ont été assassinés par injection dés leur arrivée à la baraque sanitaire, probablement dans la nuit du 30 novembre au 1er décembre 1944.
Le Caporal Georges Blind a été nommé Sergent FFI à titre posthume, décoré de la médaille Militaire, de la Croix de Guerre 39 - 45, de la médaille de la Résistance, et de la médaille d’Argent avec rosette des Sapeurs Pompiers.
Patrice Pruniaux.© janvier 2005