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jeudi 26 décembre 2002 par
Evelyne Marsura
Lorsque que j’ai commencé à travailler avec les élèves autour des mémoires liées à la deuxième guerre mondiale, l’expression de "DEVOIR DE MEMOIRE" allait de soi, sans être pour autant connotée d’une éventuelle idée de "sacralisation de la mémoire" ou d’un caractère imposé par une demande sociale ou politique. Les vieilles pages de Memoire Net portent encore la marque de cet emploi du terme "DEVOIR DE MEMOIRE". N’y avait-il pas devoir personnel de mémoire dans la transmission de ces témoignages qui m’avaient été confiés ? Tout au long d’un travail qui remonte désormais à plus de 20 ans, j’avais accumulé des expériences ( visites de camps, discussions avec des témoins, participations à des travaux pédagogiques autour du témoignage, lectures diverses etc.) et des réflexions que je me devais de partager. Ne m’étais-je pas retrouvée dans la situation du témoin du témoin, à son tour poussé à "témoigner" non pas de ce qu’il avait vécu, mais de ce qu’il avait reçu ?
Mais, progressivement les pressions se sont multipliées de la part des témoins d’abord, des Associations ensuite, de l’Union Européenne plus récemment. De la mémoire confiée presque confidentiellement, on est passé à une véritable politique de la mémoire qui pousse aussi à la prudence et à la distance avec l’expression "DEVOIR DE MEMOIRE". De mémoires qui ont toujours été conflictuelles, on est passé à une obsession du devoir de mémoire et de la repentance en fonction de l’activité des groupes et associations qui s’y rattachent.
Depuis quelques années, comme beaucoup de mes collègues, je me sens plus à l’aise avec l’expression de "TRAVAIL DE MEMOIRE" qui me permet d’essayer de me tenir à l’écart de ces concurrences de mémoires du moment. TRAVAIL DE MEMOIRE pour signifier qu’il y a démarche de recherche de ces mémoires multiples et menacées d’oubli, de mise en contexte dans un cadre particulier qui est celui de ma région et avec des objectifs précis qui ne relèvent pas de la notion actuelle de devoir. TRAVAIL DE MEMOIRE pour dire clairement que si je travaille à partir de témoignages, je ne prends pas le témoignage comme fait acquis, qu’il est toujours recoupé, vérifié, précisé, repoussé si nécessaire, replacé dans un ensemble qui s’appelle Memoire Net. TRAVAIL DE MEMOIRE pour dire aussi que je ne refuse pas les questions autour de la mémoire, que je ne prends pas la mémoire comme vérité absolue de "ceux qui savent parce qu’ils ont vu et qu’ils peuvent dire". TRAVAIL DE MEMOIRE pour dépasser la simple lecture d’un texte ou un travail ponctuel à l’occasion d’une journée commémorative qu’elle soit "contre les crimes du nazisme" ou "pour les valeurs de la Résistance".
La tendance actuelle est à la politique commémorative en milieu scolaire. Du 27 janvier, décrété officiellement "Journée de la mémoire de l’Holocauste et de la prévention des crimes contre l’humanité" à la revendication d’une "Journée Nationale de la Résistance", le risque est d’aller vers un continuel éparpillement de ces mémoires et nécessairement vers l’oubli de certaines. Le risque est grand aussi de tomber dans une démarche commémorative à dates précises et de s’éloigner d’un véritable travail de fond et durable autour des mémoires plurielles liées à la Seconde guerre mondiale.
EP. Décembre 2002
A
lire, à visiter :
LA MÉMOIRE, ENTRE HISTOIRE ET POLITIQUE - Cahiers français 303
LA MEMOIRE, L’HISTOIRE, L’OUBLI , Paul Ricoeur. Seuil.
Comment les professeurs d’histoire de collège et de lycée,se situent-ils par rapport au « devoir de mémoire » ? sur le site Histoire et Memoire animé par J-P Husson
Histoire et mémoire , Laurent WIRTH,
Histoire ou mémoire ?, Denis Collin, intervention lors du colloque "Quelle histoire pour quelle mémoire ?" ,Chateauroux Mars 2001.
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