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Jacques Henriet
Jacques Henriet
 


Un Noël 1943 à Mauthausen

 
 

jeudi 20 décembre 2001 par Jacques Henriet

(JPEG) " Dix sept heures . La nuit tombe. Les projecteurs surmontant les miradors s’allument de tous leurs feux. Leurs faisceaux lumineux cherchent péniblement à percer le brouillard qui s’épaissit de minute en minute. L’appel se prépare . Nos camarades exténués rentrent du travail transis de froid. La relève s’organise . A notre tour, il faudra tenir douze heures dans " la nuit et le brouillard " ... Tels de véritables spectres, qu’à la limite le vent aurait pu jeter à terre, nous quittons péniblement nos Blocks pour nous diriger vers la place d’appel. En effet la surveillance SS a pour impératif de comptabiliser les effectifs, voire les fantômes... Nous avons l’habitude hélas de cet exercice rythmé deux fois par jour. Dans l’attente du commandant du camp et de son état-major, hébétés , vacillants, alignés par rangées de dix, nous dormons à demi.

Soudain ,les illuminations d’un grand sapin nous réveillent. Qu’est-ce à dire ?

Le Grand Reich, l’Allemagne nazie toute entière tiennent à nous rappeler que dans la joie nous devons fêter Noël. Une chorale composée de Russes et de Polonais s’ époumone. Les SS emmitouflés, chaudement bottés devisent entre eux. Rieurs, ils semblent satisfaits ; nous doutons de leur sincérité... Et nous avons raison, car ils cherchent à briser le peu de moral qui reste en nous. A la limite, il nous faudrait applaudir " les chours " à deux mains, alors que de rage nous aurions tendance à garder les poings serrés.

La campagne de REDL-ZIPF a revêtu son manteau blanc. Pas un bruit, pas un son sur le chemin, seul le bruit de nos galoches résonne sèchement sur la neige verglacée. Et c’est dans un silence impressionnant que la colonne s’ébranle sous les bourrasques de vent vers la montagne en cette " douce nuit de Noël "

Avec mon père et quelques camarades, nous devons construire une murette près de cette fameuse plate-forme en béton ; tels sont les ordres du Meister autrichien moins arrogant qu’à l’ordinaire. Voudrait-il respecter la trêve, à moins qu’il regrette de ne pouvoir assister avec sa famille à la messe de minuit... Quant à nous, nous profitons de ce relâchement pour mettre le minimum de ciment entre les briques, avec l’espoir que notre travail ne soit pas considéré comme sabotage lors d’un prochain contrôle. Le froid cependant nous pénètre, impossible de freiner la cadence car le vent et la bise nous obligent à accélérer le rendement pour ne pas friser l’hibernation... Pour une fois les aboiements gutturaux de nos gardiens se font plus discrets, les fusils dans les miradors se taisent et la ronde as matraques n’est pas endiablée comme à l’accoutumée. Allons nous enfin bénéficier de cette " Sainte nuit "... où plane une certaine nostalgie dans les rangs des SS privés d une permission ? Non, nous rêvons, nous nous sommes trompés une fois de plus car le sadisme et l’horreur reprenaient bien vite leurs droits suivant la tradition.

Brusquement la nuit rompt son silence ; au loin nous entendons les cloches de Minuit ; leurs tintements argentins arrivent jusqu’à nous. Ce n’est pas possible, un message de paix et d’espérance pourrait-il encore parvenir " aux hommes de bonne volonté que nous sommes ? Mon père, les larmes aux yeux m’embrasse ; avec les camarades du commando nous échangeons des paroles de réconfort en nous gardant bien d’évoquer les " menus de Réveillon " tant la faim nous tenaille les entrailles. C’ est alors que pour me réchauffer, je m’enfonce à l’intérieur de la galerie. J’ai un petit recoin bien à moi, à l’abri des indiscrétions que j’affectionne particulièrement...Je m’y crois tranquille et brusquement dans la pénombre, un homme ne portant pas l’habit de bagnard me frôle. A voix basse, il m’interpelle : " Je suis prisonnier de guerre, dépendant du stalag d’Attnam-Pucheim ; j’habite dans le Nord de la France. Et toi, d’où es-tu ?
-  De Normandie, je réponds.
-  Mon pauvre, dans quel état tu es.

Ces paroles en d’autres temps m’aurait réconforté, mais en prison j’ai appris à me méfier " des moutons ". Il s’en rend compte et cherche à gagner ma confiance.

- Je m’appelle Joseph DELHUVENNE . Prends ce quignon de pain . Tu en auras un autre demain. As-tu pu correspondre avec ta famille ? Si tu veux , je peux leur donner de tes nouvelles.

La proposition est alléchante, mais les risques énormes. Il est interdit de parler aux civils et si j’échoue, c’est la pendaison haut et court. Et pourtant annoncer à ma fiancée, aujourd’hui ma femme, que tout va bien, que je suis vivant serait pour ELLE mon CADEAU DE NOEL.

Nous chuchotons car je ne tiens pas à me faire repérer. De toute façon ma décision est prise : je ferai passer une lettre à ma famille. Je suis physiquement épuisé, le moral pour moi est au plus bas. J’ai besoin d’oxygène familial pour une opération " survie ". J’ai confiance en Joseph. Il enverra ma lettre en France occupée et recevra des nouvelles des miens, qu’il me fera parvenir. Pour moi , je ne puis encore y croire. J’en parle à mon père qui de par sa grande maturité, ne me cache pas ses craintes sur la décision que je viens de prendre.

Le matin, le coeur joyeux, je rentre au camp. Une soupe un peu plus épaisse nous sera servie . Elle sera accompagnée de coups distribués avec prodigalité par le chef du block polonais, façon sans doute pour lui de fêter Noël. Qu’importe, je m’ endors sur ma paillasse rêvant à cette " douce nuit " où dans une sombre galerie , j’ai rencontré " LE PERE NOËL ".

Le lendemain dans mon souterrain, je retrouve Joseph. Il a tenu sa promesse de me revoir. Il me fournit un crayon et du papier. C’est en cet endroit que j’écrirai ma première lettre. J’en avais appris la veille le texte par coeur afin d’en accélérer la rédaction d’autant plus qu’en quittant le camp " 1a fouille " est toujours à craindre. Dans cette missive, j’y associe trois camarades : Michel, Marcel et Gérard ; leurs familles auront aussi de leurs nouvelles. Cette lettre a bien passé la frontière . Ma fiancée l’a reçue ; nous la conservons aujourd’hui comme une relique. Quinze jours après, Joseph me remettait la réponse de ma fiancée. J’ai pleuré sur sa lettre mais je n’ai pas osé la ramener au camp pour la faire lire à mon père, toujours par crainte de la fouille. Dans ma cachette, alors que mes camarades montaient une garde vigilante, je l’ai apprise par coeur une grande partie de la journée et le soir je la récitais à mon père, heureux d’avoir pu tromper l’étroite surveillance des SS.

©Jacques Henriet. 2001



 

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